Ce n’est pas bon pour le moral !
de Stéphane Foucart, journaliste au Monde
Les trajets quotidiens, l’activité professionnelle ou encore les heures passées à traînasser devant un écran d’ordinateur sont les activités les plus sujettes à la distraction et à l’insatisfaction.
Homo sapiens est chanceux : il est capable de penser à des choses qui n’ont rien à voir avec ce qui se passe autour de lui. Il pense à des êtres absents, à des événements qui se sont déjà produits, à d’autres qui vont ou pourraient se produire. A des choses agréables, à d’autres qui le sont moins. Cet avantage évolutif de Sapiens sur les autres espèces lui permet de planifier ses activités. Mais il a un revers. A en croire les travaux de Matthew Killingsworth et Daniel Gilbert (université Harvard), publiés vendredi 12 novembre dans la revue Science, cette faculté à la divagation n’est rien de moins que le ferment du spleen et du vague à l’âme.
Pour parvenir à cette conclusion, les deux psychologues ont développé une application pour iPhone. Via le site Web de leur laboratoire, les deux chercheurs ont recruté plusieurs milliers de cobayes disposant du petit objet inventé par Steve Jobs. Le principe est simple : au cours de la journée, de manière aléatoire, l’iPhone interroge son propriétaire et lui demande de définir brièvement son activité, de dire s’il pense à autre chose qu’à cette activité et si ces pensées sont agréables, désagréables ou neutres. Il faut, ensuite, évaluer son niveau de bien-être immédiat. L’étude du comportement de 2 250 personnes – 34 ans d’âge moyen, 74 % de nationalité américaine -, enseigne d’abord que la distraction est généralisée. Dans 46,9 % des situations examinées, les cobayes avouent ne pas être totalement à ce qu’ils font.
Le travail, sujet à distraction
Ensuite, écrivent les auteurs, « les gens sont moins heureux quand leur esprit vagabonde (pendant leurs activités) et cela est vrai pour toutes les activités, même les moins appréciables ». Une tâche désagréable serait donc plus supportable lorsqu’on l’accomplit sans être distrait. Et ce même si les pensées dans lesquelles on se perd sont plaisantes. Car, ajoutent les deux chercheurs, « les gens ne sont pas plus heureux lorsqu’ils pensent à des choses agréables que lorsque leur esprit ne vagabonde pas ». Les trajets quotidiens, l’activité professionnelle ou encore les heures passées à traînasser devant un écran d’ordinateur sont les activités les plus sujettes à la distraction et à l’insatisfaction. Au contraire, s’occuper de ses enfants, cuisiner ou manger, converser, écouter de la musique, pratiquer de l’exercice physique ou faire l’amour sont les activités qui prémunissent le mieux l’esprit du vagabondage, et le sujet du vague à l’âme.
Les auteurs précisent qu’un lien causal entre esprit vagabond et vague à l’âme avait déjà été suggéré par des expériences en laboratoire, mais jamais dans la vie réelle, quotidienne. Il est amusant que ce progrès expérimental soit apporté par l’iPhone, cette machine qui permet de consulter ses courriels ou d’envoyer des SMS pendant les réunions de travail, ou d’écouter de la musique tout en prenant des photos…
Être présent, pratiquer la pleine conscience permet de palier à l’esprit vagabond grâce à l’entraînement de l’esprit. Le programme MBSR (Programme de pleine conscience pour réduire le stress) offre cette possibilité sur 8 semaines.